Là où il n’y a pas d’homme est le troisième projet de la série des scénographies acouslumière. Ce dispositif scénique poursuit les recherches sur les représentations de la mémoire, et clôt la trilogie de la série initiée lors de deux installations précédentes. Ce spectacle est soutenu par le Conseil Régional NPdC, la Drac Spectacle vivants et le Crrav/Pictanovo.
Là où il n’y a pas d’homme propose une réflexion axée sur la représentation du témoignage historique, sur sa transmission et sa réception. Cette démarche se réfère à l’image d’ archive et documentaire liée à certains événements de la Seconde Guerre Mondiale. Ces ressources sont nos matières premières pour l’écriture et pour la fabrication de la lumière vidéo-projetée, l’image projetée est exclusivement issue de nos propres tournages à Berlin.
la mémoire qui s'attache aux connaissances prend symboliquement le pas sur la mémoire liée au contexte et aux événements vécus. Le rapport aux images, et spécifiquement aux images d’archives, à ces témoignages filmés ou enregistrés qui “fabriquent” l’Histoire, constitue un axe important de notre recherche. Cette mémoire historique qui en découle se fige dans des représentations qui constituent aujourd’hui un matériau de référence. Notre démarche n’est pas celle de l’historien qui veut comprendre les causes profondes ou directes d’un événement. Il s’agit plutôt de découvrir comment ces images du passé résonnent à travers un regard actuel. Comment elles constituent une vision du passé, une connaissance historique à transmettre, un “savoir” à réactualiser.
L’importance de plus en plus grande accordée à la technologie et au processus de délégation de la mémoire (numérisation puis stockage des informations, des connaissances) constitue une évolution considérable, qu’il faut savoir mettre en question. Face à ces enjeux, comment proposer une interprétation de l’histoire par le biais de sa représentation visuelle ? Le temps qui nous sépare de notre période de référence commence à dessiner une frontière entre l’Histoire et sa continuité dans le présent. De là est née notre volonté de redécouvrir symboliquement ces événements afin d’examiner présent et avenir, de mettre en place des comparaisons qui ne seraient pas des hiérarchies, et d’éclairer les événements contemporains à la lumière de cet héritage.
Travaillant sur la matière même de l’écrit et de l’image, il nous a semblé important d’utiliser dans cette recherche un espace de représentation multiple. Les ressources scénographiques sont audio-visuelles et s’accordent aux codes de l’univers scénique. La présence d’un comédien dans cet espace théâtral renforce la notion d’interprétation, et pour l’acteur et pour la thématique spécifique à notre création : la mémoire et ses transmissions. La démarche n'a pas vocation au documentaire. Elle entend faire prendre conscience des mécanismes en action dans le processus de cette mémoire, de l'importance de notre expérience personnelle dans l'interprétation de l'Histoire, et du “rôle que doit jouer le passé dans le présent”. (Zetan Todorov, Les abus de la mémoire.)
"...Et quelques mois après, le 1er septembre 1939, à 10h, il arrive au Reichstag à Berlin. Il sort de son quartier général secret, il est très pressé. Il entre chez les députés en portant cet uniforme qu'il n'enlèvera dit-il « qu'au jour de la victoire, sinon, il mourra dedans ». Il annonce à ses compatriotes une guerre qui, en fait, est commencée depuis quelques heures déjà. Et tandis que Goering se pâme comme une petite folle en haut à la tribune, les bombardiers de sa Luftwaffe sont en train de parler aux villes polonaises ce « langage qui leur convient ». Et là, les dernières illusions ont bien dû s'envoler..."
Il s'agissait pour nous de retrouver des traces sur des lieux de mémoire ou des endroits importants, politiquement ou symboliquement. L'emplacement du bunker d'Adolf Hitler à Berlin, a servi de cadre à cette réflexion sur la mémoire, dans la mesure ou rien de visible ne demeure à cette endroit. Un lieu qui n'existe plus, invisible par définition parce que souterrain, et volontairement filmé de nuit. Entre le passé et le présent, le comédien tente de retrouver l'architecture des pièces en surface, réinventant une topographie.
"...A l’horloge il est midi moins 25, on dirait qu’il y a un grand silence, on voit aussi des drapeaux de plusieurs nationalités, on dirait que la salle est remplie de fumée, il y a un, deux, trois, quatre, cinq projecteurs, il y a aussi des dossiers sur des tables, des piles de dossiers comme des immeubles prêts à s' effondrer..."
"...Ah, notre amnésique relève la tête et le voilà qui replonge. Rêvant peut-être aux infructueuses négociations menées avec les alliés, lorsqu'il s'était envolé pour l'Écosse, en 41. Il se réveillera brusquement, et assumera tout. Prison à perpétuité. Il tapissait les murs de sa cellule d'images de la Lune. On le retrouve pendu à 93 ans..."
Le travail sur le procès d’Adolf Eichmann concerne avant tout l’interprétation d’images d’archives. Autour du comportement physique du personnage, ce que les images du procès ont retenu, et les phrases caractéristiques de la justification de son rôle dans la Déportation. Déclinés comme des photographies de mouvements, d’attitudes, le module travaille la dimension sonore du discours en mélangeant les niveaux de réception de la parole : prononcée par le comédien, puis entendue par lui comme témoin extérieur, le même personnage change de statut face à ses propres mots.
"...Et quelques années plus tard, les spécialistes exhumèrent les images de la guerre afin d'entamer un nouveau travail de mémoire. Il apparaissait nécessaire car les témoins de cette époque vieillissaient, et on entendait plus souvent « j'ai vu » que « je me souviens », et de plus en plus « je me souviens d'avoir vu »..."